Écrit par: Stephen Rossiter
Publié: 10th July 2021, dernière mise à jour: 10th August 2021
Sur les marches écossaises, la frontière entre l’Angleterre et l’Écosse, la vie était difficile. Dès les premiers temps médiévaux, les personnes qui cultivaient ces terres étaient toujours désavantagés. Elles vivaient en première ligne d’une guerre qui a duré de nombreux siècles. Les armées d’Angleterre y pénétraient régulièrement, tuant du bétail et emportant ce qu’elles voulaient, en route vers des batailles plus au nord. Encore plus grave, les clans écossais marchant vers le Sud faisaient souvent de même. De tous les clans qui habitaient et défendaient les terres frontalières de l’Écosse, peu étaient aussi indomptables ou inspiraient autant de peur que le clan Armstrong.
Leur réputation féroce a pris de l’ampleur au fil des siècles, en grande partie en raison du besoin constant de défendre leur territoire – la pratique rend parfait. Le clan Armstrong fut d’une grande importance pour la lignée royale des Stuart, car l’Écosse n’avait pas d’armée permanente et comptait souvent sur les clans frontaliers pour l’aide militaire. Les Armstrong, disait-on en 1528, pouvaient rassembler 3000 cavaliers armés très rapidement.
La Milnholm Cross (une épée dans la pierre) érigée dans les années 1300, est le plus ancien monument du Clan Armstrong. Elle commémore le chef de clan, Alexander Armstrong, décédé aux mains de William De Soulis (dont nous reparlerons ci-dessous). Aujourd’hui, le monument surplombe la paisible vallée de Liddersdale, autrefois l’un des endroits les plus dangereux et les plus anarchiques des îles britanniques.
Milnholm Cross. Photo de Walter Baxter / CC BY-SA 2.0
Le Tartan Armstrong est majoritairement vert et bleu marine, rayé de lignes rouges épaisses et de lignes noires plus fines.
Sa conception remonte à 1842, lorsqu’il a été décrit dans le Vestiarium Scotorum, publié par les frères Sobieski Stewarts.
Photo de Joseph Shelby / Domaine public.
L’emblème du clan était un symbole d’allégeance utilisé par ses membres pour montrer leur loyauté à leur chef de clan. L’emblème du Clan Armstrong représente un bras levé, au centre du ceinturon, encerclé par la devise Invictus maneo, “Je demeure invaincu” en latin.
Photo de Celtus / CC BY-SA 3.0
Avant les années 1300, les Armstrong étaient originaires du côté sud des frontières de Cumberland. Ils vinrent ensuite s’installer à Liddersdale, faisant de Mangerton le siège de leur chef de clan. Tout au long des frontières, il existait une tradition : le ‘reiving’. Reiving est un mot ancien qui signifie “raid”, et cette pratique devint nécessaire à leur survie des habitants de ces régions. Une épouse Armstrong dont les placards étaient vide servait aux hommes un plateau d’éperons pour leur souper, ce qui signifiait : sortez et allez voler du bétail, nous sommes au bord de la famine !
La tradition des raids, que notre œil moderne jugera sans doute criminelle, était à l’époque la conséquence d’être constamment envahi par les deux côtés de la frontière. Les agriculteurs n’avaient pas d’autre choix que de venir compenser leurs récoltes piétinées. Les loyautés envers l’un ou l’autre des deux pays étaient réduites en miettes par la nécessité d’assurer la survie du clan. Les Armstrong portaient même un drapeau double face : anglais d’un côté et écossais de l’autre, à présenter à l’armée qui les appréhendait ! Il a été dit des Armstrong, comme des autres clans pratiquant les raids, qu’ils étaient « écossais quand cela leur convenait et anglais à leur gré ».
Avec la tradition des raids, le clan Armstrong devint un clan de cavaliers aguerris. Devenir un ‘reiver’ était le rêve de tout jeune garçon. C’était bien plus excitant que de devenir fermier. Cette carrière n’était pas réservée aux vagabonds : les chefs de clan et les familles nobles embrassaient cette tradition. Partir à cheval pour protéger les siens et reprendre ce qui avait été volé était une poursuite honorable.
Le Reiver Monument par Thomas J. Clapperton, à Galashiels. Photo de Kim Traynor / CC BY-SA 2.0
Dans un endroit aussi violent que les marches, il est difficile d’imaginer qu’il existait des lois, des gardiens et des codes de conduite. Les lois des frontières, également appelées lois des marches, furent mises en place en fonction des raids. Par exemple, si votre famille avait été pillée, vous aviez le droit de riposter avec votre propre raid dans les 6 jours, même de l’autre côté de la frontière. Quiconque se retrouvait sur le chemin de ce contre-raid devait s’y joindre ou être considéré comme complice des raiders. L’état d’esprit était “Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous”. Ce contre-raid s’appelait le Hot Trot et devait être annoncé avec une motte d’herbes en feu tenue haut et avec « hound and horne, hue and cry », ce qui en français pourrait correspondre à l’expression ‘à cor et à cris’.
Des Sleuth hounds, des chiens écossais élevés à cet effet, suivaient la piste et les chevaux les suivaient. Après 6 jours, on appelait cela un « Cold Trot » qui devait être spécialement sanctionné. Mais toujours, la menace de l’iniquité et de l’anarchie était présente. Les lois existaient en temps de paix, mais en temps de guerre c’était chacun pour soi. Une telle situation ne pouvait pas rester longtemps dans les limites de la légalité alors que les conflits entre clans motivaient souvent les reivers.
Un Sleuth houng écossais ressemblait beaucoup à un bloodhound mais à l’origine, il y avait des différences entre les deux races, le bloodhound étant rouge ou noir avec de petites taches. Depuis les années 1700, ils n’existent plus en tant qu’espèces distinctes. Ceux qui ont osé refuser l’entrée du « hot trot » à un Bloodhound étaient jugés coupables de complicité.
Le protectionnisme s’est généralisé. À l’apogée de leur pouvoir, les reivers des frontières du clan Armstrong auraient fait passer Al Capone pour un joueur de violon. En 1526, le clan Armstrong prit le contrôle de la plupart des “terres discutables” et construisit des tours, à commencer par la Hollows Tower qui fut construite par John Armstrong de Gilnockie. Les Anglais jugèrent ces pratiques illégales. Par conséquent, en 1528, le gardien de l’Angleterre de l’époque, Lord Dacre, mena une petite armée attaquer les habitants de la région. En conséquence, ils mirent à feu Hollows Tower. Le clan Armstrong riposta en brûlant sa ville natale de Netherby dans le Cumberland.
Dans les collines au-dessus de Langholm, l’intimidant château de l’Hermitage fut construit en 1240 par le chevalier normand Nicholas De Soulis, pour contrôler les « difficiles Armstrong ». Ce qui signifie que déjà à cette époque, ils étaient une force à craindre. En 1320, le château était entre les mains de William De Soulis, qui déclara son droit divin de déflorer les vierges locales. Cela dura un moment, puis il commit l’erreur de s’en prendre à une servante haut placée du clan Armstrong. Elle fut sauvée par sa famille et la vengeance ne se fit pas attendre. Ils capturèrent De Soulis et menacèrent de le tuer.
Alexander Armstrong, en tant que chef de clan, leur interdit cependant de le faire et fit preuve de miséricorde envers De Soulis. En remerciement, De Soulis invita Alexander dans son château et l’assassina ! L’histoire raconte que les Armstrong se sont ensuite emparés du château et ont fait bouillir De Soulis dans du plomb fondu. Mais la véracité de ce récit, bien qu’il soit engageant, est mise en doute. Il existe des preuves que De Soulis décéda alors qu’il était prisonnier au château de Dumbarton. Selon la légende il pratiquait la “magie noire” et un démon qu’il invoqua hante toujours le château. De même, l’écrivain et historien Walter Elliot dit que le château de l’Hermitage “est un endroit maléfique, où l’on peut sentir le mal”.
Château de l’Hermitage sur les frontières écossaises. Photo de Postdlf / CC BY-SA 3.0
Jacques V a hérité de son trône en 1513, à l’âge de 17 mois, après la mort de son père durant la bataille de Flodden Field. Le pays fut gouverné par des régents jusqu’en 1524 jusqu’à ce qu’il les limoge et commence à régner en tant qu’enfant roi. Avec les querelles faisant rage dans les marches et son oncle Henri VIII d’Angleterre critiquant son incapacité à les arrêter, Jacques V devait prendre des mesures décisives. Par conséquent, le clan Armstrong était une cible évidente à ériger en exemple.
En 1530, Jacques V invita Johnnie Armstrong de Gilnockie à s’entretenir avec lui. Ils devaient retrouver la partie royale de chasse à Caerlanrig. Johnnie et ses hommes, ne sentant pas le danger, sortirent non armés de la tour Gilnockie et se parèrent de leurs plus beaux atours, dignes d’une rencontre avec un monarque. Ce que le roi ne leur avait pas dit, c’est qu’une armée 10 000 hommes les attendait pour leur tendre une embuscade. En voyant Johnnie et ses hommes finement habillés, le roi adolescent aurait dit avec une grande indignation « que veut ce fripon qu’un roi devrait avoir ? », ce qui signifie, pourquoi ces hommes sont-ils habillés comme des rois ? Il ordonna immédiatement leur exécution.
Il n’avait jamais eu l’intention de leur parler. Il les considérait comme des traîtres. Armstrong et ses hommes furent pendus. Johnnie Armstrong, horrifié par cette trahison, déclara avant sa mort qu’il avait été un imbécile de « rechercher la grâce » dans un « visage sans grâce ». Le clan Armstrong était peut-être coupable de beaucoup de choses, mais dans leurs esprits fiers, la duplicité était répugnante. En savoir plus sur Jacques V et d’autres monarques d’Écosse ici.
Jacques V d’Écosse. Photo par PD-Art / Public Domain.
La pierre tombale a été découverte par un agriculteur il y a une trentaine d’années. En labourant le champ, il a déterré une grosse pierre avec des marques dessus. L’association Armstrong a été informée, car sa position en face de la chapelle de Caernlarig indiquait qu’elle pourrait bien être celle d’Armstrong et de ses hommes. Des sourciers ont été employés pour commencer la recherche aux quatre coins du champ et marcher lentement ensemble. Leurs tiges ont toutes réagi au même endroit où, plus tard, un archéologue a trouvé des restes squelettiques enfouis en dessous. La pierre a été réérigée au même endroit.
La photo sur la gauche montre le chemin menant à la pierre, marquant la fosse commune des personnes tuées par Jacques V en 1530.
Les Armstrong continuèrent de détenir le pouvoir sur les terres de ce qui est maintenant le South Roxburghshire. Pendant le règne d’Elizabeth I, les pilleurs de clans comme Armstrong, Graham et Elliot menèrent tellement de raids sur le sud que le Parlement anglais envisagea de reconstruire le mur d’Hadrien pour les empêcher d’entrer. Puis, en 1603, tout changea. Jacques VI d’Écosse monta sur le trône d’Angleterre à la mort d’Elizabeth I. C’était l’aube d’une nouvelle ère, d’un nouveau Royaume-Uni. Cette époque marqua la fin des raids et de tout un mode de vie pour les clans frontaliers.
Les Armstrong n’étaient que l’une des cibles de la politique de pacification des frontières, nommée par euphémisme par Jacques VI. Tous les frontaliers reçurent l’ordre de devenir agriculteurs. Les pires contrevenants furent contraints d’en appeler à la merci du roi pour les ‘immondes et insolents outrages’ observés précédemment aux frontières (ce par quoi il parlait du pillage). Les tours des terres discutables furent démolies, les gardiens expulsés. Par conséquent la zone fut renommée ‘Middle shires’, les ‘comtés du milieu’ et il devint une infraction de l’appeler ‘Borders’, ‘frontières’.
Un ‘jack’ en cuir du 16ème siècle porté par les pilleurs. Photo de Kim Traynor / CC BY-SA 3.0
Plus particulièrement, il était interdit aux membres du clan Armstrong, entre autres, de porter des armes ou de posséder des chevaux d’une valeur supérieure à la valeur minimale. Ce qui signifiait que les onéreux chevaux de cavalerie légère appréciés des reivers n’étaient plus autorisés. Pour une culture entièrement basée sur les exploits équestres, ce fut un coup terrible, la fin de leur héritage culturel. Les familles de reivers qui résistèrent au changement furent chassées de leurs terres et de leurs maisons, puis traquées et déportées ou tuées.
Le but de la politique de Jacques était d’enterrer toute la tradition des pillages dans les pages de l’histoire. Ils n’avaient pas leur place dans ce nouveau monde. Aujourd’hui nous appellerions cela un ‘nettoyage ethnique’. Un grand nombre fut jugé et pendu à Carlisle ou Newcastle. Des villes comme Rowanburn, autrefois fortement peuplées d’Armstrong, furent en quelques années à peine absentes de ce nom de famille dans leurs registres municipaux. Dans les années 1640, tous les reivers laissés par les clans frontaliers n’étaient que des hors-la-loi vivant en gangs et terrorisant la campagne. Les gens du peuple, voulant enfin vivre en paix, ne leur donnaient plus ni abri ni aide.
Aujourd’hui, dans les villes frontalières comme Jedburgh, Hawick, Langholm et Selkirk, la tradition des raids reste dans les mémoires. Ces villes célèbrent le festival annuel du « Common Riding », une célébration de l’équitation qui attire de nombreuses personnes en ville. Cette tradition remonte au XIIIe siècle : les clans locaux contournaient leurs limites territoriales pour éliminer tout empiétement des propriétaires terriens voisins. Bien que cela ne soit plus nécessaire, les villes frontalières ont maintenu la tradition en vie. Le Common Riding est une impressionnante séries de festivités à travers les comtés frontaliers, avec des événements s’étalant parfois sur plusieurs jours. L’équitation y tient toujours la première place, en commémoration de ces vaillants reivers d’autrefois qui ont risqué leur vie pour protéger leur clan.
Evenement du Common Riding à Selkirk. Photo par Retro junkies / Domaine public.
Le dernier des lairds Armstrong fut pendu à Édimbourg en 1610, pour avoir mené un raid sur Penrith, en Angleterre. Le reste du clan a fui les frontières et de nombreuses familles Armstrong se sont installées en Ulster en Irlande du Nord. De nos jours, Armstrong est parmi le cinquième nom de famille le plus courant en Ulster. De plus, depuis la dispersion du clan au XVIIe siècle, il n’y a plus trace des chefs Armstrong.
Un célèbre Armstrong indomptable : Neil Armstrong.
L’astronaute et ingénieur aéronautique américain né en 1930, à Wapakoneta, Ohio, est surtout connu pour avoir été la première personne à marcher sur la Lune.
Un an après son atterrissage réussi sur la Lune, Armstrong a visité sa demeure ancestrale en Écosse.
Neil Armstrong. Photo de la NASA / Domaine public.
En octobre 2018, plus de 310 parcelles étaient inscrites au Registre foncier Highland Titles sous le nom Armstrong.
Commentaires pour cet article
Michel GUYOT
17/08/21 - 18:00
Cet article est extrêmement intéressant et m’a appris beaucoup de choses ! ! !
Bigey
17/08/21 - 20:19
Page d’histoire bien décrite
Guy braconot
18/08/21 - 06:17
Superbe moment d’histoire, merci
audrey Loiseau
18/08/21 - 06:32
Un article très intéressant et instructif qui m’a fait remonté des centaines d’annees en arriere. Merci beaucoup pour tous les details et surtout pour le fait d’avoir su rendre l’histoire aussi vivante.
Sebastien SILVAIN
18/08/21 - 07:42
Bonjour
Encore une page de l’histoire d’Ecosse que nous connaissons mal, voir pas du tout, ici en France.
Merci de nous les faire découvrir.
B. Marie-José
15/09/21 - 20:20
Big thanks for this Scottish history.
soulis
21/03/22 - 09:16
bonjour
il est tres facile de colporter cette legende sans fondement uniquement orchestree par le clan ARMSTRONG afin de prendre possesion du chateau de lermitage
apportez moi des reference fiables
merci
soulis
21/03/22 - 09:17
bonjour
il est tres facile de colporter cette legende sans fondement uniquement orchestree par le clan ARMSTRONG afin de prendre possesion du chateau de lhermitage
apportez moi des reference fiables
merci
soulis
21/03/22 - 09:34
pourquoi avoir censure mon commentaire
Anne
21/03/22 - 10:13
Bonjour,
Les commentaires doivent être validés par nos soins avant d’être publiés. Cela peut prendre plusieurs heures à quelques jours.
Bien cordialement.
Sandra Armstrong
02/06/22 - 13:38
Merci pour ces informations historiques! Maintenant je comprends mieux ce que mon grand-père racontait et le lien “clan” qui unie si bien ma famille de génération en génération. C’est dans notre ADN.
Invictus maneo.
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